Alain Santacreu es hijo de anarquistas españoles que se define como "abierto al pensamiento profundo y fraternal de José Antonio Primo de Rivera (ver texto en rojo y nota 32). Reproducimos parcialmente la segunda parte de un artículo escrito con ocasión de la publicación del libro de Stanley Payne prologado por Arnaut Imatz en 2011 (La guerre d'Espagne. L`histoire face à la confusion mémorielle).
Texto completo en http://talvera.hautetfort.com/
II. Camouflage du camouflage : l'axe syndical
révolutionnaire
« Ni Berlin ni Moscou ! », clamait l’anarchiste italien Camillo
Berneri, avant d’être assassiné par les tchékistes hispano-russes de l’immonde
Palmiro Togliatti. Un voile de crimes, de censure et de calomnies a été tendu,
tant par la droite – fasciste ou libérale – que par la gauche – communiste ou
socialiste – pour cacher « un de ces rares moments dans l’histoire
de l’humanité où l’on a vu un peuple prendre le contrôle de sa propre
vie », pour citer Ken Loach, réalisateur de Land and Freedom (1995), film dédié aux
« collectivités » libertaires [23].
Ce déni de la révolution espagnole, Burnett Bolloten l’avait dénoncé dans son
livre Le Grand Camouflage.
Nier le nouveau paradigme proposé par l’anarcho-syndicalisme fut une constante
de la propagande des républicains du Front populaire, obéissant ainsi aux
directives du Komintern. Malgré la multiplication des témoignages, la
« conspiration du silence » a perduré jusqu’à nos jours. Une forme de
négationnisme, plus insidieuse encore, est apparue depuis quelques années avec
les nouveaux historiens dit « modérés » dont Stanley Payne est un des
chefs de file.
Durant la période qui suivit l’insurrection franquiste, le 19 juillet 1936, une
révolution sociale d’une envergure encore inconnue eut lieu en Espagne. Une
révolution communiste libertaire qui réalisa les théories préconisées par
Proudhon et Bakounine, ainsi que par l’école kropotkienne de l’anarchisme
socialiste. Obéissant à un mouvement apparemment spontané, bien que très vite
soutenu par les syndicats de la CNT et, dans une moindre mesure, de l’UGT [24], les travailleurs des villes et des campagnes
s’appliquèrent à opérer une transformation radicale des conditions sociales et
économiques. Quand éclata la rébellion militaire, le gouvernement républicain
se trouva comme paralysé. À Madrid et à Barcelone, les ouvriers se procurèrent
eux-mêmes des armes, pillant les arsenaux de l’État et les navires militaires
ancrés dans le port de Barcelone. Ils écrasèrent l’insurrection, alors que le
gouvernement essayait de parlementer avec les séditieux, hésitant entre deux
dangers : être vaincu par Franco ou armer les masses ouvrières.
La « collectivisation » des moyens de production se révéla une
réussite remarquable, jusqu’au moment où, après le coup fatal porté par les
forces contre-révolutionnaires du bolchévisme et de la bourgeoisie libérale,
dès le mois de mai 1937, après les « journées sanglantes de
Barcelone », elle fut écrasée, au fur et à mesure de l’avancée de la
guerre, tant par l’armée fasciste des séditieux que par l’armée
républicaine commandée par les communistes.
Dans le livre de Stanley Payne, cette révolution essentiellement anarchiste est
considérée comme une aberration qui aurait empêché la poursuite victorieuse de
la guerre. L’auteur semble plutôt admirer la stratégie
« révolutionnaire » stalinienne qui tentait de faire de l’Espagne une
« démocratie populaire » préfigurant les régimes soviétiques des pays de
l’Est. Le chapitre 30, « La
République espagnole a-t-elle été une démocratie populaire ? »,
est sur ce point très explicite. Payne cite l’ouvrage de Ronald Radosh, Mary R.
Habeck et Grigori Sevostianov, édition annotée et écrite à partir des archives
soviétiques mises à la disposition des chercheurs [25]
: « Comme le soupçonnaient depuis longtemps quelques historiens, les
documents prouvent avec certitude que les hommes de Moscou tentaient de
"soviétiser" l’Espagne et d’en faire ce qui aurait été l’une des
premières "républiques populaires", avec une économie, une armée et
une structure politique de style stalinien. » (422) Selon Payne, le
soutien apporté par Staline à la cause républicaine en Espagne était mû par
deux facteurs : d’abord, le souci de la sécurité de l’Union
soviétique vis-à-vis de l’Allemagne nazie ; puis, l’espoir qu’une victoire
républicaine favoriserait la « révolution populaire ». Mais ce second
objectif ne devait pas être mis en avant par le Front populaire pour ne pas
effrayer les classes moyennes ni les gouvernements occidentaux. Payne
commentera, quelques lignes plus bas : « Les porte-parole de la CNT
ne se laissèrent évidemment pas convaincre et répétèrent qu’on ne pourrait
jamais mener une révolution avec l’approbation de la bourgeoisie
internationale. Le double jeu des communistes était trop subtil pour
eux. » Stanley Payne exprime ici tout son mépris pour la capacité
révolutionnaire des anarchistes. Il partage l’idéologie de ceux, libéraux et communistes,
qui croient à la supériorité d’une « élite » et à sa nécessité pour
diriger le peuple. Et l’auteur conclut : « La formule de la
"république populaire" était en soi une stratégie révolutionnaire,
mais qui procédait en deux étapes au lieu d’une. Elle était somme toute plus
compatible avec les besoins militaires d’une gigantesque guerre civile que la
révolution socio-économique immédiate dont rêvait l’extrême gauche. »
(288).
(...)
Il serait intéressant d’établir un parallèle entre les
événements de mai 1937, qui allaient précipiter la déroute de
l’anarcho-syndicalisme, et ceux qui avaient lieu au même moment dans le camp
adverse, du côté des nationaux, et allaient entraîner l’étouffement de la
Phalange authentique.
Après la mort de José Antonio Primo de Rivera, en novembre 1936, on procéda à
l’intégration de la Phalange au régime franquiste, adultérant ainsi
définitivement l’idéal national-syndicaliste. Serrano Suñer, le beau-frère de
Franco, organisa l’Unification des forces de Droite en créant, par le décret du
19 juillet 1937, la Phalange Espagnole Traditionaliste des J.O.N.S. Dès le 10
mai 1937, une note officielle avait fixé les nouveaux statuts de
l’organisation et proclamé le Caudillo chef suprême de la Phalange
unifiée.
Ainsi, au même moment, l’anarcho-syndicalisme et le national-syndicalisme
furent respectivement trahis par les deux forces soi-disant antagonistes de
l’axe contre-révolutionnaire : le communisme et le fascisme.
Selon Stanley Payne, à la veille de la guerre civile, le « fascisme
générique » était représenté en Espagne par la phalange de José
Antonio Primo de Rivera et les JONS [30] de Ramiro
Ledesma Ramos. Ces deux seules organisations avaient fusionné en février 1934.
Payne a consacré ses premiers travaux universitaires au mouvement phalangiste [31]. Comme l’a
magistralement démontré Arnaud Imatz, faire du national-syndicalisme
josé-antonien un mouvement fasciste est très contestable [32]. Il semble
plutôt que José Antonio Primo de Rivera, fortement influencé par la pensée
d’Ortega y Gasset, ait prôné des thèses assez proches de celles soutenues en
France, dans les années 30, par le mouvement « Ordre nouveau »
d’Alexandre Marc et Robert Aron, auquel participèrent, entre autres, Denis de
Rougemont et Jacques Ellul.
L’essentiel de la pensée josé-antonienne réside dans l’idée de patrie. La
patrie est la synthèse transcendante, la suprême réalité de l’unité de destin
d’un peuple : elle prime sur toutes les structures et organisations et sur
l’État lui-même. Le national-syndicalisme se présente ainsi comme la
rectification, profondément « chrétienne », de la dégénérescence de
l’idée socialiste dans le marxisme internationaliste. Les syndicats, bien qu’intégrés
à l’État, ne sont pas des organes étatiques comme dans le corporatisme
fasciste. En cela, la conception de la Phalange se démarque de la doctrine
sociale de l’Église, telle que celle-ci est apparue, en 1931, dans Quadragesimo Anno de Pie
XI. En effet, c’est bel et bien un corporatisme de type fasciste qui se dévoile
dans cet encyclique. Ainsi, l’article 93 précise que les représentants des
syndicats ouvriers et patronaux d’un même secteur d’activités professionnelles
sont regroupés au sein de corporations qui sont « de vrais et propres
organes ou institutions d’État ». De nombreuses prérogatives, confiées à
l’État, seront transférées aux corporations, selon un principe de subsidiarité,
explicité aux articles 79 et 80. On confèrera à ces institutions étatisées le
soin de s’occuper des « affaires de moindre importance », afin que
l’État lui-même puisse « plus librement et plus puissamment [..] diriger,
surveiller, stimuler, contenir ». Il est donc foncièrement malhonnête,
comme certains catholiques s’y emploient, de faire passer ce « principe
d’association », qui se réduit à délégation de responsabilités ente deux
instances de l’État, pour une promotion de l’initiative individuelle et
citoyenne.
Le national-syndicalisme n’est pas un syndicalisme d’État . Au contraire,
le syndicat étant conçu comme la structure de base de la société, l’État se
voit subordonné aux fins du syndicalisme. L’individu, avant d’être un citoyen,
est d’abord une personne ayant une finalité d’éternité qui se situe au-delà de
tous les pouvoirs politiques. Seul le droit naturel, lié à la loi divine,
demeure immuable. Partant de cette réalité, toutes les formes d’organisations
politiques sont légitimes si elles servent au bien commun qui est l’unique
justification du pouvoir. Dès lors, l’État ne doit exercer aucune prégnance sur
la personne, seule l’Église, par sa vocation spirituelle, a la capacité de
l’orienter.
Le national-syndicalisme se fonde sur un double rejet du capitalisme et du
marxisme. Le système démocratique libéral est illusoire car il repose sur la
liberté supposée du citoyen soumis à la volonté générale, les techniques de
manipulation de l’opinion restant à la dispositions des puissances financières.
La critique du capitalisme de José Antonio est sous-tendue par l’éthique
chrétienne de la personne : le bien commun doit primer sur le profit.
Entre l’État et la personne, les corps intermédiaires – la famille, la
municipalité, le syndicat – sont les contre-pouvoirs indispensables à
l’instauration du bien commun. Quant au marxisme, il reste lié à la philosophie
du libéralisme économique qui conçoit l’homme uniquement comme un producteur et
un consommateur. Il s’agit par conséquent de dépasser ces deux idéologies
strictement économistes en découvrant de nouvelles formes de vie sociale.
Pour José Antonio, le socialisme originel non-marxiste, celui du socialisme
« utopique » mais aussi de l’AIT proudhonienne [33], était un
mouvement auquel il reconnaissait une valeur spirituelle. En effet, la capacité
sacrificielle de la classe ouvrière et paysanne témoigne d’une grandeur morale
dont la bourgeoisie a toujours été essentiellement démunie. C’est ainsi que,
contrairement aux communistes espagnols, appartenant en majorité à la classe
moyenne, exécuteurs passifs des directives staliniennes dictées par le
Komintern, il y eut toujours chez les ouvriers et paysans anarchistes un
véritable patriotisme révolutionnaire contre les rebelles factieux aidés par
les fascismes allemand et italien. Un patriotisme qui n’est pas sans
rappeler celui des communards français de 1871. En pleine guerre civile, en
septembre 1937, Abad de Santillán, le grand leader de la FAI, écrivait :
« La guerre ne peut être gagnée que si elle se transforme en guerre
d’indépendance nationale, car rares sont les Espagnols qui se réjouissent à la
perspective d’une Espagne convertie en colonie, russe ou italienne. Le drapeau
de l’indépendance nationale pourrait faire des miracles ; mais ce drapeau,
ni le gouvernement de Valence ni le gouvernement de Franco ne peuvent le
brandir. Ce drapeau, seul peut le hisser le peuple authentique, le peuple de
1808, le peuple du 19 juillet 1936. » [34]
(...)